Les «fourmis» se font cigales…

Publié le par Mahi Ahmed

Les «fourmis» se font cigales…

Par Ammar Belhimer

 

 

Le marché chinois a offert, pendant trois décennies, des opportunités inégalées de croissance aux entreprises de produits, et il ne semble pas près de s’arrêter même si, début novembre 2015, le gouvernement avait ramené à 6,5% son objectif de croissance annuelle du PIB sur cinq ans, soit le rythme le plus lent depuis la crise financière mondiale de 2008-2009.

Certes, la consommation ne progresse pas aussi vite qu'elle l'a été pendant les années de pointe, mais ne vous y trompez pas, avertit le Forum économique mondial : «Bien que le rythme soit plus lent et que le parcours soit plus accidenté, la croissance de la consommation suit toujours une trajectoire stupéfiante. D'ici 2020, l'économie de la consommation de la Chine devrait croître de près de la moitié, pour atteindre 6,5 billions de dollars, même si la croissance annuelle du PIB réel se réduit à 5,5%, en deçà de l'objectif officiel. La croissance supplémentaire de 2,3 billions (millions de millions) de dollars au cours des cinq prochaines années serait comparable à l'ajout d'un marché de consommation 1,3 fois plus grand que celui de l'Allemagne ou du Royaume-Uni».(*)

Trois grandes forces sont à l'origine de cette croissance soutenue de la consommation :

- l'ascension des ménages de la classe moyenne et aisée : en 2020, 81% de la croissance de la consommation proviendra de ménages dont le revenu annuel est supérieur à 24 000 $ ;

- une nouvelle génération de consommateurs sophistiqués et plus dépensiers : en 2020, les consommateurs de 35 ans ou moins représenteront 65% de la croissance ;

– et le rôle de plus en plus puissant du commerce électronique, notamment dans la vente au détail beaucoup plus important, tirant 42% de la croissance de la consommation totale – 90% de cette croissance provenant du commerce électronique mobile.

A cela s’ajoutent des progrès avérés dans la qualité de vie qui rendront prépondérante la demande de services, comparativement à celle des biens de consommation – ils représenteront 51% de la croissance supplémentaire d’ici 2020. La Chine n’est donc plus au stade des basic needs – longtemps illustrés par la quête du bol de riz – mais enregistre d’immenses besoins de nourriture bio, d’éducation, de voyages et de loisirs.

La montée de la classe supérieure-moyenne est stupéfiante. Au cours des dernières décennies, la consommation chinoise a été alimentée par l'ascension de centaines de millions de personnes de la pauvreté vers une classe moyenne émergente, qui comprend des ménages dont le revenu disponible annuel est compris entre 16 001 $ et 24 000 $.

Ce à quoi s’ajoute l'augmentation spectaculaire des ménages de la classe moyenne supérieure (24 001 $ à 46 000 $ en revenu disponible annuel) et des ménages aisés (plus de 46 000 $). Il est attendu un doublement du nombre de ménages de la classe moyenne pour atteindre 100 millions de personnes d’ici 2020, ce qui représentera 30% de tous les ménages urbains, contre seulement 7% en 2010.

L'émergence d'une nouvelle génération est le second facteur d’accélération de la demande de biens et services. Les personnes nées dans les années 1980, 1990 et la première décennie de ce siècle – un segment connu en Chine comme la «jeune génération» par opposition à la «dernière génération», les consommateurs nés dans les années 1950, 1960 et 1970 – deviennent la force dominante sur le marché de la consommation. La consommation des jeunes chinois augmente de 14% par an, soit le double de celle des consommateurs de plus de 35 ans. La part de la consommation totale de la jeune génération devrait passer de 45% à 53% d'ici 2020.

Les jeunes Chinois dépensent plus que leurs aînés. La plupart des Chinois âgés de plus de 35 ans ont vécu des périodes d'instabilité et ont connu des difficultés économiques. Frugale, la jeune génération est plus dépensière. Elle dément les vieux clichés hérités de Keynes quant à la «faible propension à dépenser» attachée aux habitudes de consommation sociale de la population chinoise : «Nos données montrent que les consommateurs de la classe moyenne supérieure 35 ans et moins dépensent en moyenne 40% de plus dans une gamme de catégories de produits que les consommateurs de dernière génération ayant des revenus similaires.»

Aussi, de nos jours, l'une des principales priorités des consommateurs chinois âgés de 18 à 25 ans qui achètent des produits de soins de la peau, par exemple, est que les marques doivent «correspondre à leur personnalité» et transmettre qu'elles sont «jeunes et énergiques» – et non plus «fourmis».

Aussi, les jeunes Chinois ont tendance à être des consommateurs plus avertis que ceux de plus de 35 ans. «Ils sont huit fois plus susceptibles d'être diplômés d'université : ils voyagent à l'étranger deux fois plus ; et ils sont plus attachés à la marque que les consommateurs chinois et américains plus âgés», est-il encore précisé.

La croissance stupéfiante du commerce électronique est le troisième levier. Si en 2010, les transactions en ligne ne représentaient que 3% de la consommation privée totale, d’ici 2020 la consommation privée en ligne devrait augmenter de 20% contre une croissance annuelle de 6% des ventes au détail hors ligne : «Cela signifie que le commerce électronique représentera 42% de la croissance de la consommation privée. D'ici là, le marché de la consommation en ligne de la Chine aura atteint 1,6 billion de dollars par an, soit 24% de la consommation privée.»

Le commerce électronique mobile, qui représente déjà 51% de toutes les ventes en ligne en Chine, contre une moyenne mondiale de 35%, progressera encore plus vite «en répondant à de nombreux besoins qui ne sont pas satisfaits dans les magasins de brique et de mortier».

«Les trois forces du changement modifieront profondément le paysage du marché de la consommation en Chine. Le rôle croissant des consommateurs plus riches, plus jeunes et plus avertis sur internet stimulera la demande pour différents types de produits achetés par l'intermédiaire de différents types de canaux de vente au détail», projette la même source.

Conséquence de ces développements : la croissance de la valeur remplacera la croissance des volumes dans de nombreuses catégories. «Environ 70% de ces ménages consomment maintenant des préparations de thé prêtes à boire, contre moins de 40% en 2007. Le commerce électronique, surtout mobile, est en train de transformer le marché de fond en comble : «Actuellement, il n'y a que cinq catégories dans lesquelles au moins 40% des acheteurs du commerce électronique font des achats : vêtements décontractés, chaussures de sport, sacs à main, collations et smartphones. D'ici 2020, nous prévoyons qu'il y aura 15 catégories, y compris les petits appareils électroménagers, les services financiers, les cosmétiques et les chaussures.»

Gare alors aux entreprises peu innovantes : celles d’entre elles «ayant démarré précocement en Chine n'ont plus nécessairement d'avantage concurrentiel: dans de nombreux cas, elles appartiennent à des catégories de produits peu attrayantes pour les jeunes et tardent à s'adapter aux nouvelles tendances du commerce de détail».

«Pour gagner sur le nouveau marché de la consommation en Chine, les entreprises doivent d'abord garder à l'esprit que même si l'ère de la croissance prévisible et facile s'estompe, la Chine restera l'un des marchés de croissance les plus importants du monde. La Chine doit donc rester une priorité.»

A.B.

(*) Youchi Kuo, 3 great forces changing China’s consumer market, World Economic Forum, 4 janvier 2016.
https://www.weforum.org/agenda/2016/01/3-great-forces-changing-chinas-consumer-market

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