Tunisie : Une Assemblée inutile, l’Assemblée des représentants du peuple

Publié le par Mahi Ahmed

Tunisie : Une Assemblée inutile, l’Assemblée des représentants du peuple

Habib Ayadi :

 

Assis au bord du temps, le peuple tunisien, inquiet, s’interroge sur son avenir. Les élites politiques semblent aveugles. Elles n’ont pas compris que la Révolution du 14 janvier 2011 était moins le résultat de revendications politiques que la manifestation d’une dramatique transformation économique et sociale qui, en raison de l’aveuglement de ceux qui ont exercé le pouvoir, n’avait pas donné sa chance à chacun. Elles n’ont pas compris que, s’il est vrai que la liberté d’expression et l’élection libre des représentants du peuple constituent des éléments essentiels de la dignité, il n’en demeure pas moins que la justice sociale, l’égalité (surtout des chances), le droit au travail et le droit d’accès aux soins sont des composantes aussi essentielles de cette dignité.

 

On est frappé par le fait que ces élites réagissent comme s’il n’y avait pas eu de révolution et comme si le pays n’était pas réellement plongé dans une profonde crise économique et sociale. A force d’ignorer les classes défavorisées et les catégories les plus démunies et d’oublier la classe moyenne, ces dirigeants ont mis en péril la démocratie et les valeurs essentielles de la Révolution : Justice sociale, Egalité réelle et Liberté.

 

Le peuple avait espéré qu’avec la nouvelle constitution, la conquête de la liberté politique allait étendre ses effetsau niveau de la liberté économique et sociale. En fait, la déception était totale. Tout est assis sur les libertés politiques qui profitent à ceux qui, essentiellement et économiquement, sont à même d’en user par le moyen des droits politiques.

 

Sept années de « ratage » en matière économique, financière et sociale ont sapé la confiance des Tunisiens et ont engendré une angoisse, une frustration et une rancœur profondes. Il ne faut pas s’en cacher : Entre fureur et pessimisme, le peuple tunisien ne manquera pas de laisser, un jour, parler sa rage.Les signes annonciateurs sont là. L’explosion après la Révolution du régionalisme de toute sorte réclamant une part du bénéfice des produits des régions, la vague ‘corporatiste’ née d’une crise sociale générale et d’une sorte de dégénérescence de l’Etat et la mise en place d’un Etat fainéant, expriment les prémisses réelles du délitement du pouvoir fiscal. Dans un tel contexte, l’Etat aura du mal à prendre des lois dans le sens de l’universalité fiscale.

 

Quelle ne fut la déception de ce peuple lorsqu’il a vu, après les élections de 2014, que comme la précédente, la nouvelle assemblée est incapable d’apporter le moindre commencement de satisfaction aux aspirations légitimes des Tunisiens.

 

Plus grave, le régime politique mis en place par la nouvelle constitution (présentée par ses auteurs comme la meilleure du monde), qui est conçu à l’origine comme un régime parlementaire, s’est, dans les faits,  transformé en un régime présidentiel.

 

I- L’avènement du régime présidentiel

L’article 89 de la constitution donne, à cet égard, au chef de l’Etat le pouvoir de  désignation du chef de gouvernement.

 

La pratique des régimes démocratiques nous enseigne que le chef du gouvernement est celui dont le parti a gagné les élections. Normalement, c’est lui qui aura la confiance de l’Assemblée, en même temps que la légitimité de l’autorité requise pour détenir les rênes du pouvoir  et pour mettre rapidement en exécution ses engagements électoraux. C’est cette logique démocratique ‘implacable’qui est mise à l’identique aussi bien en Grande Bretagne, en France et,tout récemment, en Allemagne.

 

Rien que du très logique, dirait-on.  – Oren Tunisie, ce n’est pas de cette manière que les choses se sont passées. Dans les faits, un véritablebouleversement de la distribution du pouvoir s’y est produit puisque le Chef du Gouvernement, auquel la Constitution accorde des pouvoirs substantiels, y compris notamment celui de déterminer la politique générale de l’État et de veiller à sa mise en œuvre (article 91 de la Constitution),s’est effacé au profit du Président de la République.

 

En l’absence d’une campagne électorale réellement démocratique et centrée sur de réels enjeux politiques, et en l’absence d’un chef de parti disposant d’un véritable programme de politique générale et jouissant d’un charisme et d’une solide autorité pour convaincre et capable d’assumer pleinement les pouvoirs que la constitution lui attribue, c’est le Président de la République qui, en toute liberté, a choisi successivement les deux chefs de gouvernement ‘indépendants’ : manœuvre facilitée par l’ambiguïté du  positionnement « atypique » des partis majoritaires « ni droite ni gauche ». De ce fait, les deux chefs de gouvernement ne doivent rien à aucun parti. Ils ne se sont pas, non plus, imposés par  leur compétence politique ou par leur efficacité en matière économique et financière. Ils sont incapables de s’écarter de la sphère d’attraction du Président de la République, véritable centre de gravité du pouvoir dans le pays. Leur seule référence, c’est  le Président de la République ; leur seule légitimité, c’est d’avoir été choisi par lui. En un mot, ils sont plutôt des hommes de circonstances et non pas de programmes.      

 

Or, l’expérience montre que la démocratie ne peut être fondée uniquement sur des élections ou plus clairement sur la légitimité populaire des dirigeants : Il faut, d’une part, un chef de gouvernement, chef d’une majorité parlementaire et qui exerceeffectivement les compétences à lui dévolus par la Constitution et, d’autre part, une assemblée puissante, des députés responsables, passionnés et compétents, et ayant un lien direct avec le peuple.

Or, dans le cas de notre pays, cela fait actuellement défaut.

 

II-L’Assemblée des représentants du peuple

- La Constituante

 

Du temps de la Constituante, on n’a jamais compté autant de constituants dépourvus detoute compétence en matière de fonctionnement des régimes politiques, des compétences de parlementaires et plus encore en matière de droit constitutionnel.Ils n’ont rejoint les partis politiques ou les listes indépendantes que quelques semaines avant le scrutin. C’est à peine s’ils ont eu besoin de faire campagne, tant était grande la dynamique en faveur de certains partis.Tout était garanti par les listes, par le mode de scrutin et par le dynamisme de certains partis.Alors que beaucoup de candidats n’ont aucune culture de partis ou même de discipline de groupe, les voici constituants persuadés qu’ils ont les pleins pouvoirs pour changer le pays...  

 

Les résultants, maintenant, on les connait. Le pays traine encore les erreurs commises, les dégradations du pays et les crises économiques, financières et sociales.

 

- L’Assemblée élue en 2014

 

Par-delà ces erreurs et insuffisances, le peuple tunisien a cru que les nouveaux représentants élus en 2014 pourraient changer les choses.

 

Or, pendant la campagne électorale, sommaire et vide, et que dominent le terrorisme et la transition démocratique, aucun des graves problèmes économiques, sociaux, financiers que connait le pays, n’ont fait l’objet d’aucun débat sérieux.  Normalement, ces chantiers devraient faire l’objet des actions les plus audacieuses et les plus urgentes pour convaincre la population du sérieux de la nouvelle politique et pour rétablir ainsi la confiance en le nouveau régime. En fait, il n’en a été rien. Aucun programme n’a été mis en avant, et fort peu de réunions électorales les ont évoqués…  

 

L’Assemblée en est restée à l’élaboration de lois touchant des domaines variés,mais au détriment des exigences de la Révolution et de celles de la Constitution elle-même (la Cour constitutionnelle, le Haut conseil des collectivités locales, laprésidence de l’Instance des élections,etc.).

 

- Le droit peut-il à lui seul rétablir la confiance?

 

Certes, on ne peut, au niveau politique, que se réjouir de ces lois touchant la sécurité, les droits de la femme,etc…  Mais les textes ne suffisent pas !

 

Parmi les premières connaissances qu’on apprend sur les bancs des facultés de droit, il faut citer cette vérité fondamentale que l’économie éclaire toujours la politique et que le rôle positif de la loi, en tant que moteur d’une évolution, doit s’adapter aux conditions économiques, financières, socialeset culturellesdu pays. Les lois qui sont en retard par rapport à ces conditions provoquent un grave déséquilibre et conduisent à l’avortement de leurs prescriptions et à l’échec généralisé. L’instrument législatif, lui-même, est condamné à évoluer pour s’adapter aux nouvelles problématiques. La technique même de l’élaboration de la loi a, aujourd’hui, évolué dans le sens de l’innovation, comme le montre, par exemple, ce que les juristes appellent ‘l’inversion de la hiérarchie des normes’,qui consiste en l’autorisation de déroger à la loi pour coller à la réalité ou encore, le fait que le contrat ou le dialogue peuvent, dans certains cas, prendre la force de la loi.

 

-Cas de la fiscalité:

 

En matière fiscale, l’Assemblée sait que le système fiscal est perçu jusqu’à présent comme un simple outil de financement du budget et de comblement du déficit du budget de l’Etat. Pour l’Etat,s’il s’agit de réduire le déficit, il faut et il suffit de trouver de nouvelles recettes, même si elles ont pour effet d’écraser les mêmes catégories de contribuables. C’est ainsi que depuis la Révolution, face au déficit budgétaire, les solutions préconisées en urgence ont consisté essentiellement en des prélèvements exceptionnels (plus exactement des surtaxassions) sur les revenus déjà identifiés par l’administration fiscale. Tel est le cas de la contribution de 7,5 créée par la loi de finance pour 2017 : Il ne s’agit pas d’une contribution exceptionnelle, mais d’une « surtaxation » imposée aux mêmes contribuables.

 

Quant à la réforme du barème de l’impôt sur le revenu, ce n’est qu’une illusion puisqu’elle se réduit à un système de « vases communicants » : La réduction de l’impôt pour les basses tranches est compensée par l’augmentation des tranches supérieures.

 

Cette méthode s’écarte des principes fondamentaux du droit fiscal : Le revenu imposable doit être à la fois un revenu réel et un revenu net, c'est-à-dire un revenu dans lequel sont pris en compte les effets de la dépréciation monétaire et de l’érosion du temps si l’on veut éviter de taxer ce qui est, en dernière analyse, un revenu nominal, voire fictif.Par ailleurs, la réforme doit s’appliquer à toutes les tranches du barème (surtout les tranches supérieures) en tenant compte du caractère progressif de l’impôt et des facultés contributives, parce que la faculté contributive n’est pas représentée par le revenu mais par son utilité. Ainsi, plus le revenu est élevé, moins son utilité est grande et, plus la capacité contributive augmentée.

 

Plus généralement à lire le rapport du FMI sur la modernisation de l’administration fiscale (février 2013), le verdict est sans appel. C’est le délaissement de l’administration depuis des décennies qui est à l’origine de la répartition inéquitable … La confiance dans la capacité de l’Etat à prélever des impôts passent nécessairement et préalablement par la réorganisation de l’administration fiscale et sa modernisation.

 

L’augmentation d’un point le taux de la T.V.A., même nécessaire, aura un effet limité sur les recettes du trésor dès lors, que selon ce rapport : Moins du tiers des déclaration souscrites en matière de T.V.A. se traduisent par un paiement.

 

Les représentants du peuple sont obnubilés par leur carrière politique. Il n’est pas alors surprenant que, dans un tel contexte, la théorie de l’impôt et les règles de la fiscalité leur paraissent dépourvues d’intérêt.

 

Les a-t-on vus d’ailleurs, depuis leur élection, parler de l’administration fiscale et de l’insuffisance de son rendement, ou s’interroger sur les fortunes qui prolifèrent (grands patrons d’entreprises, des commerçants, des banquiers, des professions libérales). Ces nantis constituent une aristocratie toujours plus puissante et plus influente. Pourtant, leurs revenus déclarés sont sans commune mesure avec leur revenu réel. Les ‘représentants du peuple’ se rappellent-ilsla mise en échec, dans les projets de loi de finance 2016 et 2017,des propositions du gouvernement relatives aux contrats de cessions ou de location d’immeubles ?  Savent-ils que les déficits du Canada et de la Suède s’élevaient, en 1993, à 90% du PIB mais que, sans pour autant s’adresser au Fonds monétaire international, leurs gouvernements ont fait preuve de courage et de pédagogie en montrant à chacun que l’Etat est en danger et qu’il fallait faire quelque chose pour sortir de la crise. Ils y sont arrivés : Aujourd’hui, leurs finances sont parmi les plus solidement équilibrées.

 

En Tunisie, les ministres des finances successifs veulent réformer, réformer, réformer inlassablement. Ils ne se rendent cependant, pas compte que la politique d’annonce prématurée des « mesurettes »,des ‘petits pas’, ne peut faire revenir la confiance. Au contraire :elle induit le doute.Il faut certes réformer ; mais,cela doit se faire en annonçant une stratégie globale et un plan général de réorganisation de l’Etat et des finances publiques, c’est-à-dire  exactement, ce qui a fait défaut depuis la Révolution.

 

III-Le droit à la paresse

L’expression est de Paul Lafargue dans son livre intitulé « Le droit à la paresse », publié en 1880. L’auteur constate que depuis la démocratie de la Grèce antique, l’homme libre ne travaille plus, il trouve sa joie dans l’éloquence, dans l’art de polémiquer, dans les délibérations collectives.

 

L’histoire, parfois, se répète : Homme libre depuis la Révolution, le Tunisien ne travaille plus. Il trouve sa joie dans la politique, l’art et le sport. Les représentants du peuple ne sont pas en reste. Ils ont découvert le charme de l’Assemblée. Un grand nombre de députés viennent rarement aux réunions de l’assemblée et de commission.

Les hémicycles sont très souvent vides, puisque nombre d’entre eux se sont rendu compte qu’ils pouvaient s’offrir le luxe de l’absentéisme tout en continuant à toucher leurs indemnités… Et les choses ne vont pas s’améliorer même après l’institution récente d’une sanction légère contre les députés qui s’absentent!...

 

IV-Dans tout cela, la faute à qui ? - Essentiellement à deux facteurs : les partis politiques et le mode de scrutin.

- Les partis politiques

 

Les partis politiques, qui dominent la vie politique en Tunisie,  sont à l’image des partis de XXème siècle, c'est-à-dire de simples machines à désigner des candidats et à offrir aux plus engagés des militants, à défaut  d’un poste ministériel, des postes supérieurs dans les ministères ou les entreprises. Dans leurs discours, ces dirigeants ne parlent que du détail et  de l’accessoire, mais jamais de l’avenir du pays, ni des gros problèmes qu’il affronte, comme la dette publique, le chômage, ou la question du contrôle exigeant et efficace de l’Exécutif. Ils sont encore moins préoccupés de la question de la réflexion et de l’élaboration d’un projet de développement de la société tunisienne. Ces partis sont, pour la plupart, dirigés par des hommes venant du passé et qui, de ce fait, sont plutôt enclins à recourir aux vieilles techniques éprouvées et clairement balisées, oubliant que les jeunes générations (celles d’Internet et de Facebook) ne sont plus celles  de 1970 qui voulaient être fonctionnaire ou chef d’entreprise. Elles acceptent mal la hiérarchie et veulent toujours connaître le pourquoi du comment. Elles n’acceptent plus ces inégalités chaque jour plus criant.

 

- Le mode de scrutin

 

Le système électoral de la ‘proportionnelle avec le plus fort reste’ a, d’une part, tué la politique, et a bloqué toute réforme tout en excluant de la compétition tous ceux qui pourraient apporter le ‘contre-discours’ qui pourrait engager le débat, appeler aux réformes et à l’engagement et, d’autre part, entraîné le désir de certains partis de s’installer solidement au pourvoir, ce qui a conduit l’assemblée et le système institutionnel à l’impuissance. Ce mode de scrutin ne laisse aux partis nouvellement crééset ne disposant qued’une faible assise populaire et d’une médiocre maitrise de l’économie et des finances que le vain loisir de débattre à l’infini des moyens d’assurer une transition démocratique réelle.

 

V- Que faire?

Dans la vie en général et dans la politique en particulier, il faut savoir réussir sa sortie. Quand on est Président de son pays, cet impératif atteint même une dimension sacrée, car c’est l’entrée dans l’histoire qui se joue, cette apothéose offerte aux dirigeants des temps modernes.

 

Si l’on veut être fidèle à des valeurs et servir un projet politique (étant précisé que la Tunisie est la dernière chance du ‘printemps arabe’), il est essentiel de tout dire au peuple, où l’on en est, ce qui fonctionne, et ce qui est en panne. Se taire, c’est trahir la vérité.

 

Récemment, le Président de la République chinoise, suite à une légère crise économique, a obligé cinquante chefs des plus grandes entreprises à assister, un mois durant, à des cours sur les règles de la‘Social–démocratie’ qu’il souhaite instituer dans son pays, à méditer sur le plafonnement de leurs rémunérations, sur les limites de l’optimum fiscal, sur la lutte contre la fraude et contre la corruption. Cette expérience  doit être prise en considération dans notre pays, et trouver application dans toutes les institutions de l’Etat… A commencer par les universités. Ces dernières ne sont ni performantes ni compétitives, en termes de recherches et de formation. Elles croulent sous le poids de la bureaucratie et de la surpopulation estudiantine. Leur niveau scientifique est tombé si bas sans que nul ne vienne à leur secours. A ce rythme, on ne devrait pas être étonné de lireun jour, sur les journaux : « universités à vendre, de préférence à des groupes chinois » !

 

Il n’y pas que l’Université. Prenez les gros dossiers de la dette publique, de la réforme fiscale, des caisses de retraite et de maladie, du redressement de l’économie et de la monnaie ou de la formation professionnelle : Rien n’est fait jusqu’à présent.

 

A suivre les débats politiques, tout le mondeest, au moins, d’accord sur un seul point : Le pays va très mal. La politique suivie par les divers gouvernements depuis la Révolution témoigne de l’absence totale de programmes économiques et sociaux et, même, de savoir-faire gestionnaire.

 

Pendant plus de six ans, la majorité, ou plutôt ce qui en reste, n’a rien proposé  que de vieilles recettes tirées de manuels hors d’usage.

 

Le pays est condamné à prendre conscience de la gravité de la situation et de la nécessité pour lui de fournir un indispensable et douloureux effort pour sortir de la crise. Chacun doit comprendre que le poids du déficit, des dettes de l’Etat, de la dégradation de la monnaie,des déséquilibres globaux, a atteint un niveau si dangereux qu’il faut alors, pendantplusieurs années, se plier à un plan de rigueur pour espérer s’en sortir !

 

Pour cela, deux solutions s’offrent au pays : Le ‘gouvernement de salut public’ ou les ‘pleins pouvoirs’.

 

-La théorie du ‘gouvernement de salut public’ est liée à la théorie du ‘gouvernement révolutionnaire’. Elle est fondée essentiellement sur la mise en valeur de l’idée de ‘Salut public’ comme seul moyen pour aider le pays à faire face aux dangers fomentés par les ennemis contre-révolutionnaires venant de l’intérieur du pays aussi bien que de l’extérieur. La première conséquence d’un tel choix, c’est que l’ordre constitutionnel et légal doit être suspendu, au moins  provisoirement, pour faire face aux circonstances du moment. Les garanties de droit ne sont plus assurées. Le gouvernement sera libéré des contraintes de l’ordre constitutionnel pour être soumis seulement à l’arbitraire de sa volonté.

Il est clair qu’un tel gouvernement constitue la négation de l’idée démocratique et qu’il doit,donc, être écarté.

 

-Les ‘pleins pouvoirs’

 

Sur plus d’un point,le régime issu de la Révolution en Tunisie rappelle la situation de l’IVème République en France.

 

A l’époque, on reprochait au régime de la IV République d’être un régime trop faible. Les coalitions, mal ficelées et incapables de trancher et de décider, ont conduit à l’immobilisme et à l’impuissance.

 

Nombre de personnalités politiques de cette époque se sont illustrées par leur incapacité à assumer leurs responsabilités.La palme d’or de l’impuissance politique devait, sans conteste, revenirau radical Henri Queuille, resté célèbre par certaines de ses déclarations saugrenues, dont la plus célèbre affirmait : « Il n’est pas de problèmes si grave en politique qu’une absence de solution ne finisse par résoudre »…

 

A l’évidence, l’actuel régime politique tunisien devrait prétendre à la même distinction !

 

Les gouvernements tunisiens qui se sont succédédepuis la Révolution, ont aussi leur Henri Queuille. Leur art suprême en matière politique : Ne rien faire, tout en donnant l’illusion de l’action.

En France, la crise a finalement trouvé solution, par l’appel d’une personnalité hors normes : le Général Charles de Gaulle. Il a été investi en 1958 par la chambre des députés avec pleins pouvoirs. En Tunisie, en l’absence d’un chef de gouvernement jouissant d’un charisme et de l’autorité pour convaincre de la nécessité des sacrifices exigées, il faut conseiller d’appliquer ce qui a marché dans d’autres pays (notamment la France) plutôt que ce qui plait à certains dirigeants.

 

Dans tout régime démocratique, le retour au peuple présente cette particularité qu’il est l’expression directe de sa volonté souveraine et que, pour ce motif, il ne peut, ni ne peut être privé de ce pouvoir. Plus clairement, seul le peuple peut freiner ou, encore, mettre fin à la dégradation actuelle de l’économie et des finances de ce pays. Un plan national doit,donc, prendre acte de la situation catastrophique actuelle, décider d’y mettre fin en indiquant au peuple l’étendue des sacrifices qu’il doit y consentir, déterminer les modalités de leur répartition équitable entre les différentes catégories et classes sociales qui  doivent les supporter et mettre en place les institutions gouvernantes aptes à mettre en œuvre ces réformes salutaires.

 

Pour faire court, il est nécessaire de dissoudre cette assemblée et de procéder à des élections générales sur de nouvelles bases, dignes des aspirations des pères de cette ‘Révolution’.

Il est vrai que dans la situation politique actuelle, il est difficile de recourir à la dissolution.

 

D’abord, la dissolution, telle qu’elle a été conçue par l’article 89 de la constitution, avait apparemment pour but d’établir une barrière devant l’instabilité ministérielle. Ensuite, l’ultime ciment du gouvernement actuel d’union nationale est pour certains partis, membres du gouvernement, la peur des élections anticipés ; ce qui aggrave les difficultés du recours à la dissolution.

La solution retenue par l’article 89 laissait au second plan la signification profonde et essentielle du droit de dissolution qui est de permettre au corps électoral de trancher les conflits entre l’Assemblée et le gouvernement.

 

Malgré la crise économique et financière, le corps électoral n’a pas joué son rôle : l’impossibilité pour lui de choisir ses représentants par la faute du régime électoral et la difficile réunion des conditions de l’article 89.

 

En l’absence d’une révision de l’article 89, il pèse sur les auteurs du programme de Carthage et l’assemblée qui a investi le gouvernement d’union nationale, de trouver les solutions pour débloquer la situation actuelle.

 

Habib Ayadi,

Professeur émérite à la Faculté des Sciences

Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis

 

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Publié dans TUNISIE Spécial

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