Moi, intellectuel algérien, et l’ALN-ANP

Publié le par Mahi Ahmed

Moi, intellectuel algérien, et l’ALN-ANP

par ‘Abdel’alim Medjaoui, moudjahid, écrivain.

Sous le titre « Les intellectuels et l’ANP », B. Mili a traité de la question du malaise des intellectuels vis-à-vis de l’armée et il a tenté d’en expliquer, à partir de son expérience, les ressorts historiques. Intervention stimulante qui me pousse à prolonger l’exercice en donnant mon point de vue sur le sujet…

* Automne 1954, je m’inscris en propé médicale (PCB) à Alger. Mon but : devenir médecin, pour bien gagner ma vie et m’assurer un peu de dignité dans le monde colonial.

Au même moment, d’autres s’affairaient aux derniers préparatifs de la lutte armée…

J’avais fait la connaissance du Dr Nekkache. Un homme profondément moderne, mais tout aussi profondément enraciné dans ce petit peuple d’employés, d’ouvriers, de lettrés, d’artistes, etc., en particulier de M’dina J’dida, où son cabinet était situé…

Il y réunissait chaque week-end des jeunes (scouts, lycéens,…) pour des activités culturelles et scientifiques. C’est là que j’ai appris, entre autres, comment prendre en charge un blessé, un malade en cas d’urgence…

* Ma rencontre avec l’ALN

Nekkache me préparait aussi à ma 1ère année universitaire. Je réussis au PCB et m’inscrivis en 1ère année de médecine. Entretemps je faisais plus attention à ce qui passait autour de moi, ma préoccupation n’étant plus centrée sur mon seul but, même si en début d’année universitaire, je m’étais juré, avec mon ami Youcef – le futur colonel Hassan – de forcer la porte de la médecine hospitalière, disputée entre seuls mandarins juifs et chrétiens et leurs rejetons[1]. De plus, j’avais compris que Nekkache était de ce mouvement enclenché le 1er novembre, qui commençait à m’intéresser, fin 1955, parce qu’entre autre le pouvoir colonial n’arrivait pas à l’étouffer.

Dans La Nuit coloniale[2], F. Abbas expliquera pourquoi l’intellectuel qu’il était, s’est finalement rangé du côté des « nationalistes algériens emprisonnés » : Ils « cessent d'être considérés par l'opinion musulmane comme de jeunes irresponsables. Ils deviennent des martyrs et des précurseurs de la seule émancipation possible. L'instinct populaire, que rien ne vient distraire, est plus puissant que les meilleures constructions juridiques et les plus belles spéculations de l'esprit.»

- Je me convainquis que ces hommes me montraient le chemin de la dignité réelle et décidai de les rejoindre. Youcef était partant lui aussi… J’en informai le Dr Nekkache… qui nous ouvrit directement la voie vers l’ALN. Alors que Youcef la rejoignait, je devais, avant d’y aller moi-même, faire profiter des jeunes qui s’y engageaient de mon petit savoir-faire sur les soins d’urgence. Avec la grève, nombre d’étudiants et de lycéens, en route pour le maquis, devaient passer par l’« école » que j’animais sous l’égide de la grande Nefissa Hamoud.

C’est seulement en août que je deviens maquisard. Là encore, je prends en charge, avec les amis étudiants qui m’avaient devancé, l’organisation du service de santé de la région. L’ALN, dans cette zone 1 de la wilaya 3, était fière de nous, de même que la population de la région pour qui nous concrétisions cet « état démocratique et social » que la Révolution s’était engagé à établir. Et l’ennemi, s’acharnant à nous poursuivre, spécialement, et à nous remplacer par l’offre sanitaire de ses SAS auprès de la population, montrait l’importance du rôle que nous jouions dans le système de l’ALN.

- C’est un autre lieu d’expression du FLN que je vais rejoindre après mon arrestation en février 1957. À travers camps et prisons où l’on m’a trimbalé, je défendais, avec mes frères d’infortune, l’honneur de détenus FLN. Dans ces espaces – et en particulier à Lambèse qui arborait férocement son appellation « Maison de force et de correction » sur le monumental portail d’entrée – on devait, dans des conditions épouvantables où la mort était toujours en maraude, imposer, petit à petit, notre droit à la dignité d’Algériens. Je suis fier d’avoir participé à l’œuvre de salubrité humaine, grâce à quoi s’est imposé patiemment, à une France raciste et inhumaine, sous les oripeaux de 1789, un régime de droit presqu’humain jamais connu dans ses prisons…

Cette œuvre salutaire s’est déployée y compris dans l’univers concentrationnaire sans droit : « camps [dits] de regroupement », où les femmes ont inscrit des pages somptueuses de résistance qui ont à peine ému quelque Rocard impuissant à changer quoi que ce fût, ou quelque photographe utilisé pour des portraits d’état-civil ; et « camps spéciaux », où se sont distingués un Mustapha Khalef, un Abdelhamid Benzine ou un Yacine Isaad, n’hésitant pas à risquer leur vie pour porter à la connaissance du monde les horreurs qu’une France sans scrupules lui cachait. Pour cela, Mustapha tombera au champ d’honneur!

Ces incarcérations de masse ont réuni des miniatures d’Algérie où étaient représentées toutes les régions du pays et toutes les couches sociales. Je me suis enrichi à avoir été de cette humanité bariolée, chaleureuse et solidaire dans l’adversité… J’y rencontrai même des gens de ma région, de ceux qui, hier, subjugués par l’oppression coloniale, me traitaient de « balisi » (satanique), parce que j'étais « badisi » (adepte de Ben Badis). La Révolution les avait rendus à leur humanité nationale…

* Ma rencontre avec l’UGEMA et le FLN

Septembre 1961 : libéré… me voici, le 1er novembre, à Bruxelles où je vais refaire ma 1ère année de médecine. J’y retrouve, président de la section de l’UGEMA, un ancien condisciple qui m’a assuré d’une bourse UGEMA... Je retrouve également un autre ami de médecine d’Alger, responsable, lui, de la section des « étudiants du parti » ; lui aussi me promet l’aide du « parti ». Il m’a parlé de frictions entre les deux structures, et je lui ai promis d’agir pour ramener l’harmonie entre militants.

En m’informant de l’objet du litige, je découvrais l’UGEMA, d’un côté, et le FLN, de l’autre.

- L’UGEMA, d’abord. J’apprends que, pour le renouvellement du bureau prévu en ce début d’année universitaire, le « parti » exige que l’on désigne comme président, le chef de la section des « étudiants du parti ». C’est contraire aux règles de fonctionnement de l’Union : le bureau de section est élu en assemblée générale par les étudiants de la section, sans quoi la direction ne le valide pas. Et rien ne s’oppose à ce que ce chef tente sa chance en se présentant au vote de la base.

La vie démocratique de l’UGEMA, à tous les échelons de l’Union, est un acquis de modernité novembriste qui lui vaut une reconnaissance internationale, et assure à la cause de l’indépendance qu’elle défend, le soutien des organisations d’étudiants des pays occidentaux et des pays socialistes sans qu’elle ait à épouser leurs querelles idéologiques… Elle doit cette orientation à son congrès constitutif en juillet 1955 marqué par le large débat autour du « M » (musulmans). Le « M » lui a donné, dans le cadre de la loi coloniale (de 1901), le statut d’institution nationale de l’Algérie non française. L’orientation a été renforcée ouvertement, dans le sens de l’adhésion au FLN-ALN, par le 2e Congrès tenu à Paris un an après, en présence de représentants d’associations étudiantes étrangères. On heurtait de front la loi coloniale, d’où l’interdiction immédiate de l’UGEMA et un procès à ses dirigeants.

Moment important du combat politique contre le colonialisme au cours duquel l’UGEMA a reçu le soutien de l’opinion étudiante internationale.[3]

Fort de ces renseignements, je pense pouvoir trouver un terrain d’entente avec mon ami, chef des « étudiants militants ». Qu’il tente sa chance devant la base !

- J’étais naïf. Car là, je découvrais le « FLN »… de Bruxelles, un « FLN » qui ne pouvait être celui qui m’avait chaleureusement accueilli dans l’ALN… Ce « FLN »-ci se montrait décidé à sacrifier le profit politique qualitatif que notre Union apportait à la cause nationale…

Par ma seule présence à l’Université libre de Bruxelles (ULB), j’enrichissais ce profit.

Les étudiants et enseignants belges qui m’avaient reçu parmi eux, voyaient en moi un homme « civilisé » (« tu es comme nous », me disaient certains étonnés). Mon image jurait avec celle de notre ALN-FLN fabriquée par la propagande française. J’informais mes hôtes, dans des tribunes organisées pour m’écouter, que j’avais rejoint l’ALN et assuré un service public de santé jamais tenu par la France là où j’ai officié ; que j’avais été arrêté, et vécu des tourments dont je ne pensais pas sortir vivant ; mais que ces tourments n’étaient rien par rapport aux terribles souffrances matérielles et morales infligées à mon peuple par une France infidèle à ses valeurs de 1789…

J’allais d'ailleurs vivre, lors des examens de fin d’année, un moment exaltant avec mon examinateur en physique, un grand patron en la matière : il me félicitait, non pour le succès à mon examen – cela allait dans dire –, mais pour l’indépendance de mon pays. Mon professeur me dit sa fierté d’avoir un peu contribué à notre victoire en nous recevant à l’ULB. Il m’a assuré que notre révolution nationale pouvait compter, pour la construction du pays, sur l’apport des nombreux amis que notre lutte nous avait gagnés à travers le monde… Je sortais de là rayonnant. J’étais réconcilié avec la vie et convaincu de la justesse de notre défense de notre section UGEMA.

Devant notre résistance, ce « FLN » inventa une nouvelle tâche à notre intention : il nous fallait militer en cellule avec les ouvriers ! Invention d’intellectuels dont le sens populiste échappait à ses auteurs : en utilisant les ouvriers pour nous sanctionner, pensant nous rabaisser, ils trahissaient leur mépris des ouvriers. N’ont-ils pas compris qu’un militant du FLN, du moins celui de Novembre, est celui qui apporte à la lutte de libération nationale son savoir-faire irremplaçable que son parcours dans la vie lui a permis d’acquérir ? Ainsi, au maquis, j’apportais ma contribution spécifique à la lutte armée, comme le manieur du pistolet mitrailleur la sienne.

Je n’ai pas eu les mêmes aptitudes que mon ami Youcef (ou le chahid Lotfi, ou les regrettés Kafi et Boumédiène), tous intellectuels comme moi ; sinon, j’aurais pu avoir l’honneur de diriger une région ou une wilaya ou même le pays, comme me l’offrait la Révolution !

* Moi l’ex djoundi et détenu ALN devenu UGEMA

Étudiant à l’extérieur du pays, je me trouvais devant deux structures, la section de l’UGEMA et celle des « étudiants du parti ». La première, une institution, avait une histoire marquée au sceau de Novembre, et des résultats probants en faveur de l’indépendance. Et la seconde ? Une structure adventice qui veut caporaliser, phagocyter l’autre, et pourquoi ?

Nous avons « milité » dans les « cellules ouvrières » sans céder sur la préservation de l’UGEMA. Nous n’avons pas été désarçonnés par une lettre du Vice-Président du GPRA nommant, de Tunis, le chef des « étudiants militants » à la tête de notre section. Nous avons refusé cette mesure arbitraire, accusant nos vis-à-vis d’avoir désinformé Tunis !

On nous marginalisa alors et on nous exclut… de la fête du 5 Juillet 1962, devenue fête du GPRA !

* Le coup d’État « soft » contre la Révolution

Nous vivions une dérive locale, mais sentions confusément que la direction de la Révolution était en crise ; d'autant que des bruits nous parvenaient de Tunis qui n’étaient pas réconfortants. Et, personnellement, je mettais mon espoir en cet État-major de l’ALN – quoi qu’on en ait dit – qui semblait s’opposer à ce GPRA soutenu, disait-on, par Bourguiba.

Et, la crise se confirma, dramatique, en 1962…

Plus tard, L’indépendance confisquée de F. Abbas (Flammarion, Paris, 1984), me signalera un point important d’histoire : le changement qui a prévalu au GPRA. Pour mieux faire face aux négociations, a-t-on avancé, on a mis un président dit « révolutionnaire », à la place du président prétendu « réformiste ».

C’était un coup d’État contre Novembre, ourdi sur la base de symboles[4] que ce dernier avait rendus inopérants, mais que le « centralisme » a remis à l’honneur pour dire sa volonté « révolutionnaire » de prendre en main l’indépendance !

- Par ce coup d’État, les chefs ex « centralistes » ont rétréci, à leur ex mouvance organique, le large champ national d’action unie et solidaire des différentes couches sociales ouvert par la Révolution du 1er Novembre.

L’histoire avait pourtant jugé : Ils avaient en effet bloqué les cadres et la base militante qui était sous leur coupe pour qu’ils ne participent pas à « l’aventureuse » lutte armée ; mais celle-ci s’est victorieusement lancée malgré ce blocage. Ils n’ont pas compris la chance que leur a donnée Abbane en les « réhabilitant » pour les recycler dans le mouvement : ils s’y sont alors considérés comme s’il était une simple continuité du PPA-MTLD ; ils n’ont eu de cesse alors que d’y conquérir, en tant que « politiques », une place dirigeante par rapport aux « militaires » de la lutte armée…

- Ils ont, surtout, désuni ces forces que la Révolution avait entraînées, qui se sont alors opposées les unes aux autres. Ils ont introduit le putschisme dans la révolution et éclaboussé ainsi l’image de l’Algérie révolutionnaire, qualifiée depuis d’autoritaire, dirigée par un pouvoir militaire. Mais le coup ne venait pas des « militaires », mais d’un pouvoir civil, et il n’a pas été dirigé contre les « militaires » et l’ALN, sinon il n’aurait pas commencé par viser F. Abbas et ses amis, notre UGEMA, …, c'est-à-dire de nombreuses forces « civiles » qui s’étaient reconnues en Novembre.

Reste à comprendre le sens de l’intégration des « 3B » à ce néo-« Comité central ». Ces « 3B » avaient représenté le « militaire », face au (ou à côté du) « politique », figuré par les ex-« centralistes », dans cette simplification organique de Novembre qui a prévalu à partir d’un certain moment de la guerre de libération. La fermeture des frontières par Challe avait-elle rendu les « 3B » à leur plus simple expression ? Ou s’étaient-ils accrochés au char du GPRA « révolutionnaire » par solidarité gouvernementale ? Seule une recherche sérieuse et objective permettrait de répondre à de telles questions et à d’autres…

Le résultat de ce coup d’État « soft » est éloquent. Qu’on en juge !

* Un oukase du GPRA 3

C’est avec un état d’esprit respectueux envers tous mes aînés du mouvement national que j’apporte ce témoignage. Et je suis conscient de la difficulté de l’exercice :

- difficulté à dire ma peine de ce qu’avec mes amis UGEMA, nous ayons été traités d’ennemis de la Révolution… - et en même temps, difficulté à analyser les tenants de ces souvenirs pénibles, de prendre la posture de l’historien, non pour juger mais, pour trouver une explication au geste dont nous ne vivions qu’un aspect local, mais qui a abouti à la dissolution de l’UGEMA.

Un oukase du GPRA 3 a présidé en effet à cette mise à mort.

Ayant imposé une « section des étudiants du Parti » organiquement dépendante de lui, il réduit ainsi une UGEMA pouvant – sait-on jamais, du fait de sa relative indépendance institutionnalisée par Novembre ? – poser problème à ses projets élitaires exclusifs.

Le GPRA 3 a même pensé, renouvelant ce traitement de l’UGEMA, s’appuyer sur l’ALN de l’intérieur, contre l’É.-M. G. qu’il ne maîtrisait pas. Il a envoyé des sortes d’« officiers militants du "Parti" », « sûrs », pour prendre en main les wilayas ALN par-dessus la tête de leurs chefs ! Mon ami Youcef en sait quelque chose, de même que le commandant M. Bennoui qui a dénoncé la manœuvre dans ses Mémoires

Immenses dégâts ! Des décombres fumants de l’UGEMA surgissent des groupes d’étudiants en plein désarroi, qui se regardent en ennemis et se disputent les restes du mouvement. L’échec de la tentative de congrès tenu en été 1962 signe la fin de l’influence majoritaire du nationalisme militant chez les étudiants.

* Naissance d’une UGEMA étriquée, L’UNEA

Les forces du nationalisme, désunies, cherchaient à régler la question du pouvoir. Et j’osais moi, le moudjahid qui avais pris le train en marche, porter un jugement dévalorisant sur d’autres moudjahidine au parcours étincelant, et dont certains ont été parmi les « précurseurs de la seule émancipation possible » qui m’ont donné conscience que je pouvais sortir de la soumission. J’osais me réjouir que le GPRA ait été « débouté », pour au moins ce traitement qu’il a fait subir aux étudiants… Cependant le pouvoir installé aux dépens du GPRA, au lieu de réhabiliter l’UGEMA, s’est dépêché de créer sa propre « section des étudiants du parti », reproduisant la tare générique d’étroitesse du GPRA 3…

Et c’est contre la volonté du « Parti » au pouvoir et malgré SES « étudiants » qu’est née l’UNEA, à la place de la défunte UGEMA. Les étudiants communistes ont su rallier assez de voix pour, démocratiquement, rompre le lien organique entre l’UNEA et le « Parti », et supprimer le M pour lui substituer le N… De mon exil intérieur, j’applaudis ce rapport imposé au « Parti ». Je ne tardais pas à rejoindre les rangs de l’Union, puis à en être un dirigeant…

Entretemps, le champ politique national « s’enrichit » d’une nouvelle charte, et c’est au nom de cette charte d’Alger que nous commettons l’innommable : nous excluons de l’UNEA sa section de Paris dont les dirigeants ont marqué des distances avec la Charte ! Je participe à reproduire, à mon tour, la tare d’étroitesse générée par le GPRA 3.

Le N se découvre beaucoup moins national que le M de l’UGEMA !

* Et qu’en est-il de l’ANP ?

Nous la regardions avec méfiance, ce que confirmera, pour nous, le 19 juin 1965. J’avais rejoint le PCA et entrai avec lui en opposition, entrainant avec nous l’UNEA. Nous aggravions la tare d’étroitesse… en nous accaparant l’organisation des étudiants au profit de nos intérêts de parti…

Boumédiène, lui, déclare l’ANP digne héritière de l’ALN ce qu’il traduit par un gros effort de modernisation et de formation, en appui sur les DAF et les écoles de cadets de la Révolution, et par la réduction du FLN à un « Appareil du parti » ; par-là, il s’attaque à la source de la tare d’étroitesse… Il entreprend de s’appuyer sur « les cadres de la nation », structure informelle avec laquelle il initie un débat autour de la politique de développement, désignée comme le Grand jihad et appuyée sur la valorisation des hydrocarbures. Ce débat se concrétise par la Charte nationale. Tout en se montrant attentif aux besoins des couches populaires, il déploie une audacieuse politique étrangère de neutralité active, et une politique de soutien aux mouvements de libération. Ce qui lui a coûté certainement la vie.

Sa disparition a été vécue comme un drame majeur par le peuple : qui montrait son inquiétude pour les lendemains d’une politique qu’il a sentie marquée par le souffle du FLN du 1er Novembre. Devant la profondeur de ce deuil populaire, le grand Boudiaf reconnaissait son tort de s’être opposé à Boumédiène et décidait de quitter la scène politique. Et notre « Saout-echaab », dont l’opposition s’était assouplie sans disparaître après le Qarrarna du 24 février 1971, a dû s’incliner devant la perte d’un « camarade de combat »…

* Le coup de pied de mule des DAF

Mais l’inquiétude populaire n’était pas vaine : Le « parti FLN » est ré-intronisé en grande pompe, et les DAF sont inclus dans sa direction. Libérés de leur « employeur », ils s’enhardissent à s’imposer au politique : la tare d’étroitesse… est ici le fait d’un démembrement de l’ANP. Ils chargent le « parti » de maîtriser les cadres avec « l’article 120 » et patronnent une politique économique et étrangère détricotant celle de Boumédiène… et rapetissant donc l’Algérie à qui il avait redonné les couleurs de Novembre. Ils mènent alors le pays droit à la crise…

Et moi, dans tout cela ? Avec mon parti clandestin, nous continuons à soutenir certaines positions du pouvoir « dafiste » tout en nous opposant à d’autres…

Novembre 1986, les émules des DAF, les « capitaines de Boumédiène », frappent à la porte, en « redresseurs », pour exiger une sorte d’alternance. Le pouvoir tergiverse alors, sacrifie l’antidémocratique « Parti FLN », se constitue un « FLN » plus « clean », dans la cadre d’une ouverture démocratique qu’il leste de l’islamisme.

Nous n’avons pas saisi alors la gravité de cette mesure où nous n’avons vu que l’occasion de légaliser enfin notre parti. Mais les « redresseurs » ont diagnostiqué, dans ce jeu irresponsable avec le feu islamiste, l’introduction mortelle dans le corps de notre société d’un « virus », d’autant plus dangereux qu’il s’introduit sous le couvert de l’Islam. Ils ont alors exigé la démission des responsables de cette grave dérive. Le premier responsable abdique mais emporte avec lui l’institution présidentielle. Ils réinitialisent la Révolution en la personne du grand Boudiaf… qui revient en disant sa confiance dans l’ANP !

L’islamisme saisit le danger, qu’il veut conjurer en le supprimant.

Attentat inexpiable ! Il vise à assassiner l’État national. Il est, sans doute, facilité par une certaine désinvolture (« dafiste » ?) des services présidentiels de protection.

Mais c’est trop tard ! En rejoignant ses frères du 1er Novembre tombés au champ d’honneur, Boudiaf bouclait la boucle, éclairant de nouveau la voie qu’il avait ouverte avec eux… Les jeunes et le peuple, rendus à la confiance unitaire, plébiscitent à la présidence de la République un des dignes héritiers de l’ALN pour faire barrage à l’islamisme ravageur… L’ANP marquait là un point essentiel. On sentait cependant qu’il lui faudrait mener un effort sérieux pour limer ses excroissances « dafistes »…

Mais bientôt, elle nous remplira de fierté par le combat intelligent – où s’illustreront ses services ! – qu’elle mènera avec succès contre le « sida » islamiste, en appui sur les moudjahidine et le peuple qu’elle encouragera à se mobiliser… ●

[1]. Cf. les Mémoires du regretté Pr Chaulet.

[2]. Seuil, 1962 ; réédité par l’ANEP dont, en 2005, avec une présentation que j’ai signée.

[3]. Le représentant de l’USNSA, C.-M. Henry a témoigné, à ce procès, du soutien des étudiants des USA aux étudiants algériens en lutte, à leur aspiration à l’indépendance. Il a été d'ailleurs expulsé aussitôt de France où il étudiait ! Cet universitaire est l’auteur de la seule recherche sur l’UGEMA, du seul livre qui en a consigné les résultats sous le titre UGEMA (1955-1962) Témoignages. Casbah, 2010, 2012. Il y dit dans un texte qui introduit et éclaire sa thèse, que « L’UGEMA était […] l’incarnation vivante de la Révolution algérienne, pas uniquement pour les étudiants algériens […], mais aussi pour tous les étudiants admiratifs et solidaires de par le monde » !

[4]. C’est P. Bourdieu qui disait, sans aucun jugement de valeur, que « dès le moment où la révolution symbolique est en marche [et Novembre en est une], il y a place pour l’imposture de la révolution, le faire-semblant de la révolution. […] On voit apparaître des imposteurs qui, ayant compris avant les autres la révolution en cours, opèrent une conversion au moins apparente et cumulent, pendant un certain temps, les profits de la conservation et ceux de la conversion. » In « L’Effet Manet », Le Monde diplomatique, Nov. 2013, pp. 13-14.

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