Pourquoi le prix du pétrole baisse

Publié le par Mahi Ahmed

Pourquoi le prix du pétrole baisse

Depuis le début des années 2000, les matières premières sont devenues des marchandises financières

Traduit par : Maïlis Destrée , source : Iakov Mirkine, Rossiïskaïa Gazeta publié mercredi 20 janvier 2016

Les prix des matières premières baissent parce que le dollar se renforce par rapport à l’euro. Pourtant, tout laisse à croire que cette tendance pourrait s’inverser vers 2018 : le dollar devrait s’affaiblir, et les prix des ressources augmenter de nouveau. Explications dans le billet de l’économiste russe Yakov Mirkine, chercheur à l’Institut d’économie mondiale et de relations internationales de l’Académie russe des sciences.

Le pétrole n’est pas le seul à se dévaluer. Les prix des métaux s’effondrent aussi. Depuis 2011, la valeur du cuivre a ainsi été divisée par 2,2, celle de l’aluminium a baissé de 90 %, et les prix du zinc et de l’or ont chuté de 70 %. Ce sont en réalité toutes les ressources naturelles qui sont touchées : le blé n’a pas été épargné, avec quasiment une division par deux du prix du froment depuis l’été 2012.

Pour comprendre cette baisse générale, il est essentiel de se rappeler que, depuis le début des années 2000, les matières premières sont devenues des marchandises financières.

Les tableaux des bourses mondiales indiquent les prix des dérivés financiers du pétrole, des métaux et du blé à New York, Chicago, Londres, etc. Il s’agit des marchés des banques, des fonds, des investisseurs financiers et des spéculateurs.

Ces actifs sont fortement influencés par le cours de la paire euro-dollar en tant que monnaies de réserve internationales. De 55 à 60 % des actifs financiers mondiaux sont libellés en dollars (et 20 à 25 % en euros). C’est en dollars que sont fixés les prix mondiaux des matières premières, et que sont faits la majorité des calculs sur le pétrole, le gaz et les métaux. Sur les marchés financiers, les investisseurs passent librement du pétrole au dollar, puis aux actions, puis au cuivre, avant de « sauter » sur les obligations et de revenir au dollar.

Le dollar est l’élément principal de cet écheveau. Lorsqu’il faiblit par rapport à l’euro, les prix des matières premières bondissent. Dans les années 2000, le dollar a baissé de façon ininterrompue par rapport à l’euro. Ça a été, pour la Russie, une période de vaches grasses. Avec des prix des matières premières très élevés, nous croulions sous l’argent. Assis tout près du robinet des ressources naturelles, nos revenus réels ne cessaient d’augmenter.

À l’inverse, lorsque le dollar se renforce face à l’euro, les prix du pétrole, du gaz, des métaux et du blé plongent. C’est précisément la tendance qui prédomine depuis 2010. Depuis le printemps 2011, le dollar a augmenté de 37 % par rapport à l’euro. Pour les marchés mondiaux, il s’agit de mouvements tectoniques. Voilà pourquoi les prix des matières premières diminuent !

Mais que représentent ces mouvements du dollar par rapport à l’euro ? Il s’agit de cycles d’une durée de 17 à 18 ans, qui ont démarré au début des années 1970. Aujourd’hui, le dollar « entre » dans son troisième cycle.

Ces cycles sont identifiés depuis longtemps et n’ont rien de mystérieux. Ils dépendent des cycles économiques américains et de la politique anticyclique de la Réserve fédérale des États-Unis (Fed). Lorsque l’économie américaine décolle, la Fed augmente son taux directeur pour accroître le coût des crédits, freiner l’activité économique et empêcher une surchauffe et un futur atterrissage brutal.

Cette mesure creuse l’écart entre les taux d’intérêt américains et européens en faveur des États-Unis. Les capitaux, de leur côté, vont là où les taux et les bénéfices sont les plus élevés – soit aux États-Unis. La demande mondiale en dollar augmente, et celui-ci se renforce par rapport à l’euro.

En revanche, lorsque l’activité économique se réduit aux États-Unis, la Fed abaisse son taux directeur afin de diminuer le coût des crédits et relancer l’économie. Les capitaux se dirigent alors vers l’Europe et l’euro, où la situation est la plus avantageuse. Cette baisse de la demande en dollars entraîne une dépréciation de la devise elle-même.

Toutes choses égales par ailleurs, la tendance d’un dollar fort et de matières premières bon marché se poursuivra jusqu’en 2018-2019. Ensuite, le dollar faiblira de nouveau et les prix du pétrole et des autres matières premières augmenteront jusqu’au milieu des années 2020. Trois ou quatre années de patience et nous roulerons de nouveau sur l’or, donc ? Il est évident que dans ce système ultra-complexe qu’est l’économie, rien n’est jamais certain. Il faut toujours s’attendre à ce qu’un choc géopolitique, une révolution technologique ou tout autre événement extérieur viennent déjouer toutes les prévisions.

Jusqu’au début des années 2000, le cours du pétrole dépendait presque entièrement de facteurs fondamentaux : la demande, la production, les réserves et les technologies. L’OPEP régnait sur les prix tel un empereur. Mais dans les années 2000, le cartel a perdu de son influence. Et lorsque les prix du pétrole ont baissé sous la pression du dollar, les producteurs sont devenus comme fous. Ils ont augmenté l’extraction et l’exportation d’hydrocarbures à seule fin de se maintenir sur le marché.

L’année dernière, la Russie a produit une quantité record de pétrole. Tout comme l’Arabie saoudite, l’Irak et les États-Unis. Les termes « guerre des prix » et « guerre du pétrole » recouvrent une réalité bien concrète, en particulier compte tenu du prochain retour sur le marché du pétrole iranien.

Pour l’heure, la conséquence finale de tous ces mouvements demeure la chute des prix. Faut-il s’attendre non plus à une tempête mais à une véritable tornade s’approchant de l’économie russe ? Évidemment, la vie se moque bien des prévisions.

Pourtant, en jetant un œil sur le passé, on peut supposer que l’on n’atteindra pas les 20 dollars le baril, et encore moins les 10. Toute chute des prix est toujours ralentie par les forces invisibles du marché à mesure que l’on s’approche du « point d’équilibre ». Se produit alors un bienheureux « rebond ». L’histoire montre que le plancher naturel du prix du Brent se situe à 33-35 dollars le baril.

Toujours est-il que cette baisse des prix porte un coup terrible à l’économie russe. C’est pourquoi nous attendons avec impatience que nos ministres cessent enfin de nous effrayer à coups de pronostics et se chargent plutôt, tels des sauveteurs, de ranimer la demande et l’offre intérieures. Voilà la seule bonne façon de réagir tant à la dégringolade des prix des matières premières qu’à l’accès limité de la Russie aux marchés financiers extérieurs.

Yakov Mirkine. Crédits : Page Facebook de Yakov MirkineYakov Mirkine. Crédits : Page Facebook de Yakov Mirkine

Iakov Mirkine, né en 1957 à Moscou, est diplômé de l’université d’État des finances (1979), docteur ès sciences économiques depuis 2003. Collaborateur de la Banque centrale de l’Union soviétique jusqu’en 1989, il dirige aujourd’hui le département des marchés de capitaux internationaux de l’Institut d’économie mondiale et de relations internationales de l’Académie russe des sciences. Fondateur du premier département universitaire consacré aux marchés financiers en Russie (au sein de l’université des finances), Mirkine est l’auteur de plusieurs manuels et dictionnaires anglo-russes portant sur la finance.

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