Le 8 mai 1945 dans le déni de mémoire

Publié le par Mahi Ahmed

Le 8 mai 1945 dans le déni de mémoire

CHRONIQUESMOHAMED BOUHAMIDI10.05.2015 14:41 3

Le pouvoir algérien a commémoré à minima, et presqu’en cachette, l’anniversaire d’un des trois plus grands événements historiques qui servent de repères à notre nation et lui produisent du sens et de la mémoire. Il s’agit, pourtant, du 70ème anniversaire des massacres de masse du 8 mai 1945, événement considérable par l’ampleur inouïe de la répression qui a suivi une manifestation pacifique de nationalistes algériens dans la ville de Sétif. Les deux autres anniversaires, pour ainsi dire zappés dans la discrétion, étaient, en 2012, le cinquantième anniversaire de notre indépendance, et en 2014, le 60ème anniversaire de l’insurrection du 1er novembre 1954. Pourtant, les peuples et les responsables profitent des décades pour ajouter du symbole, du sens et de la force aux anniversaires, pour en rappeler la pertinence toujours actuelle de s’en saisir pour rassembler la nation dans des manifestations de masses, des cérémonies et des rappels mémoriels. Par Alain Juppé, ministre français des A.E nous avons au moins l’explication pour la révoltante discrétion des « solennités » de la commémoration du cinquantenaire de notre indépendance. Il a révélé son entente avec Abdelaziz Bouteflika pour que la célébration des cinquante ans de l’indépendance se fasse «dans un esprit de modération en essayant d’éviter les extrémismes de tous bords ». Guy Perville, victime collatérale, côté français, fait une analyse savoureuse de cette entente (1). Son texte jugé « extrémiste », côté français toujours, a été rétabli sur les sites officiels qui l’avaient commandé.

Juppé a donc exposé à l’opinion publique comme une victoire française, cette entente en principe confidentielle, sur le renoncement du pouvoir à dire et à interpréter notre histoire pour ne pas gêner « l’avenir des relations algéro-françaises ». Drôle d’amitié qui a besoin de l’oubli et du déni pour se construire et drôle de partenaire qui tient à défendre l’action coloniale qui ne serait pas en soi un crime, et même un crime contre l’humanité, et tout à fait dissociée de massacres par lesquels elle s’est réalisée et qui sont « devenus » des « moments tragiques » et autres balivernes de ce genre.

Le pouvoir algérien est resté fidèle à cette entente avec Juppé et Sarkozy. Le 60ème anniversaire de l’insurrection du 1er novembre s’est passé dans la discrétion. Rien n’a rappelé qui furent les hommes de l’insurrection, ni leurs noms à peine connus, ni le napalm sur les villages, ni la torture systématique, ni les viols, ni les zones interdites, ni les camps de regroupements, ni les « crevettes de Massu » (2). Cette discrétion s’est prolongée pour le 70ème anniversaire du 8 mai 1945.

La caste des oligarques peut-elle rappeler les luttes et sacrifices populaires à l’origine de notre indépendance et réaliser ses rêves de monopoliser le pouvoir, d’élargir son influence à la tête de l’Etat, de siphonner les devises pétrolières, de multiplier ses placements à l’étranger, de faire main basse sur les ressources minières et pétrolières ? Son intérêt fondamental est de construire des ententes avec les puissances étrangères dans son bras de fer avec les aspirations de justice du peuple algérien, pas de célébrer l’unité populaire pour l’indépendance et la souveraineté.

Le 8 mai 2015, F. Hollande a appelé les historiens, les intellectuels et les jeunes français au devoir de mémoire et de transmission du sens de la lutte contre et de la victoire sur le nazisme. Pour une même date, l’Etat français, qui refuse toujours de se dissocier de l’entreprise coloniale, affirme son droit à la mémoire quand il nous appelle, nous, à la sélection du souvenir. Le pouvoir algérien vient de sceller son déni de notre mémoire élargissant l’autoroute qu’il a ouverte à la reconquête coloniale.

1- http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=269

2- Les pieds-noirs appelaient « Crevettes de Massu », les corps des patriotes algériens jetés en mer par les hélicoptères ou par-dessus les barques des militaires.

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