Mohamed Mechati

Publié le par Mahi Ahmed

~~Mohamed Mechati Rencontre avec un généreux patriote Par : Mustapha Hammouche Un jour où je surpris Mohamed Mechati dans une file d’attente dans une annexe de la mairie de sa résidence, je m’efforçai d’expliquer à un agent de l’administration l’honneur d’avoir un tel homme parmi les habitants de sa commune, tout en lui suggérant d’assurer un traitement privilégié à des administrés de cette valeur. On pouvait le croiser, le matin, cheminant lentement vers ses quotidiennes destinations : le marché Meissonier d’Alger, où il faisait régulièrement ses courses, et le salon de thé de la rue Didouche, où il lisait ses journaux en sirotant un café. On pouvait aussi l’apercevoir remontant vers son domicile, au boulevard Télemly, ses petites courses à la main, le pas lent, l’air songeur, mais le regard alerte. Ainsi vivait Mohamed Mechati, ces dernières années, entre ses habitudes de quartier, ses réflexions inquiètes sur l’état du pays et ses échanges éclairés entre amis et patriotes… Le physique menu, l’allure stricte dans ses costumes au charme démodé, les cheveux longs et légèrement grisonnants, Mohamed offrait l’image d’un inconsolable nostalgique des années yéyé. Si, avec l’âge, il ne courait visiblement plus après la mode, il affichait, en revanche, l’image d’un homme de son temps. Ce qui frappait le plus, chez lui, c’était bien, du haut de ses quatre-vingt-dix années, sa modernité. Une modernité singulière. Dans le “salon de thé” où, certains matins, nous partagions, avec d’autres amis, le café, nos hâbleries et nos réflexions, ou encore dans ce restaurant commun où il venait, à l’occasion, déguster la sardine “beddersa” nationale, j’étais à chaque fois frappé par la distance, en termes de modernité, entre lui et tous ces Algériens qui évoluaient autour de lui, sûrement tous plus jeunes que lui ! Allaités au discours de la régression servi par des prêcheurs, une école et une télévision d’inspiration wahhabite, combien sont-ils, aujourd’hui, parmi eux, à savoir ce que représente le groupe des 22. Surtout pas une initiative pour le progrès et la modernité. Non, on aurait fait la révolution pour retourner au septième siècle ! Un jour où je surpris Mohamed Mechati dans une file d’attente dans une annexe de la mairie de sa résidence, je m’efforçai d’expliquer à un agent de l’administration l’honneur d’avoir un tel homme parmi les habitants de sa commune, tout en lui suggérant d’assurer un traitement privilégié à des administrés de cette valeur. Je ne récoltai en échange qu’un silence amène et perplexe. “Quelle est cette importance que ne viennent confirmer ni gyrophare ni garde rapprochée ?”, semblait-il penser devant ma candide intervention… La différence en termes d’ouverture d’esprit entre Mechati, représentant de la génération qui a conçu le projet révolutionnaire, et les représentants des générations “relèves” qu’il croisait ou fréquentait, ne l’éloignait étrangement pas de ces derniers. Cette vie quotidienne, celle d’un “historique” évoluant dans l’anonymat d’une vie de quartier “rurbain”, il la vivait avec un certain bonheur, tant son immersion sociale était totale et naturelle. Sa générosité, comme un élan irrépressible, fondait son amour pour le pays comme son amour pour ses concitoyens. Affable, avenant, spontanément ouvert à tous ceux qui l’approchaient ou qui, le reconnaissant, l’interceptaient dans la rue, il avait toujours l’éclat de rire au bout du bon mot. Son humour, resté intact, aura été le reflet, jusqu’à son dernier souffle, de son esprit et de sa clairvoyance. Flamboyants et inaltérables. À moins que l’humour n’ait servi à masquer l’immense tristesse d’un révolutionnaire qui, en fin de vie, avait, à nouveau, “si mal à l’Algérie”. Une semaine avant de partir en Suisse, où réside une partie de sa famille, notre ami Noureddine Fethani l’interpellait affectueusement sur le fait qu’il continuait à se déplacer en ville alors qu’il était souffrant. Voici la réponse que lui fit Mohamed : “Ma douleur partira un jour, parce que, moi, je dois partir ; c’est le mal de l’Algérie qui me préoccupe. Je ne sais si elle s’en sortira.” Un peu comme si, soixante ans après la réunion historiquement décisive de son groupe, les événements l’avaient encore contraint à se révolter contre le sort d’une patrie à nouveau brutalisée, spoliée et humiliée. M H

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